Il y a 20 ans des chercheuses en médecine faisaient le point sur les connaissances médicales à propos de l’endométriose et creusaient les obstacles à son diagnostic à travers un papier regroupant les conclusions de plusieurs focus groupes, alarmantes sur l’état du parcours de soin de la maladie dans les pays développés. Pour rappel, l’endométriose est une maladie gynécologique (décrite pour la première fois en 1860) qui se caractérise par le développement de muqueuse utérine (l’endomètre) en dehors de l’utérus et sur différents organes avoisinants, provoquant des symptômes divers dont des douleurs fréquentes. La situation n’a que très peu évolué depuis : l’endométriose reste une des maladies chroniques répandues dont le diagnostic est le plus compliqué et long. De plus elle est gravement impactante pour une majorité de femmes. La politique et le système de santé français semblent encore largement patriarcaux, et il reste encore un grand enjeux de prise de conscience collective et publique autour de la pathologie. La medtech semble également pouvoir accompagner l’évolution de notre société et la sensibilisation à l’endométriose, comme elle commence à le faire pour d’autres pathologies. Quels sont les leviers possibles pour améliorer la qualité de vie des personnes diagnostiquées ou encore en attente de diagnostic ?
L’endométriose, une maladie répandue à fort impact
L’endométriose semble gagner de plus en plus d’espace dans les discussions à destination des scientifiques, professionnels de santé mais également du grand public. Cela peut s’expliquer par son fort impact sur la qualité de vie des personnes touchées, représentant une part non négligeable de la population.
Une prévalence de plus de 10%
Le Dr. Cox mentionnait dans son papier qu’on estimait que 10% des femmes menstruées étaient atteintes d’endométriose : "Endometriosis is a chronic condition of as yet undetermined origin. It is the second most common gynaecological condition, affecting approximately 10% of women in their menstruating years.” Aujourd’hui on estime une prévalence à une femme sur 9. Le nombre de cas ne fait pas non plus état des malades parmi les personnes intersexes, les personnes transgenres, et les rares cas d’endométriose chez l’homme ou d’endomyometriose ("masse Utérus-like") chez les personnes XY. Cette augmentation des cas répertoriés semble être lié principalement à l’amélioration du temps de diagnostic. Ainsi, cette prévalence en hausse pourrait être encore largement sous-estimée. La maladie serait en réalité responsable de 30 à 50% des cas de personnes souffrant de douleur utérines chroniques, restant parmi les deux problèmes de santé gynécologiques les plus répandus.
Douleurs et infertilité
L’implication de l’endométriose dans les cas d’infertilité a également été sous estimée. Il y a 20 ans on pensait que 30 à 40% des femmes souffrant d’infertilité étaient également sujettes à de l’endométriose. Aujourd’hui on envisage plutôt une implication de l’endométriose dans 30 à 50% des cas.De plus, 30% des cas d’endométriose provoqueraient une baisse partielle ou totale de la fertilité. L’infertilité est donc un enjeux majeur de la maladie. L’endométriose devrait également constituer un des axes principaux de recherche et de communication sur l’infertilité.
Le risque accru d’infertilité n’est pas la seule conséquence physique de l’endométriose. Les malades sont enclin à des douleurs chroniques intenses ayant un impact direct sur leur qualité de vie (douleurs lombaires et abdominales notamment). Il est également très fréquent que des troubles digestifs soient provoqués, à cause de la facilité pour l’endomètre de se développer sur les organes digestifs proches de l’utérus. Beaucoup d’autres douleurs peuvent aussi apparaître en tant que douleurs neuropathiques quand des nerfs sont atteints.
Aujourd’hui, les traitements pour controller les douleurs sont trop peu fiables ou contraignant comme des opérations chirurgicales, des cures de kétamine ou des implants de corps étrangers, comme des neuromodulateurs médullaires pour soulager la douleur.
Des impacts aussi sociaux et financiers
Les impacts sur la santé physique des personnes, bien que très importants, ne font pas à eux seuls état des conséquences sur la vie des malades d’endométriose. Ainsi, pendant un épisode de règles douloureuses beaucoup d’activités deviennent compliquées ou impossibles. Les douleurs dues à l’endométriose peuvent ainsi nuire à la vie professionnelle ainsi qu’aux loisirs des malades et creuser ou provoquer un isolement social. Elles affectent également le temps disponibles de ses femmes, leur motivation et la charge mentale face aux tâches quotidiennes (administratives, alimentation, logement, hygiène, …). Elles provoquent ainsi de la fatigue sur le long terme. L’article du Dr. Cox relève que de nombreuses femmes ont craint de perdre leur emploi, crainte avérée chez certaines d’entre elles, la justification de ces licenciements étant souvent le nombre de congés maladies pris et une incompréhension de la part des responsables. D’autres patientes peuvent être contraintes de changer de carrière fréquemment. L’accumulation de ces éléments peut conduire à une dégradation de la santé mentale et à des dépressions.
La question du coût de la maladie n’est pas non plus triviale. Un article de Gaëlle Delhon à la rédaction de Lyv nous apprend que l’endométriose coûte 150€ par mois pour une française en reste à charge (étude de la start-up Héroïc Santé). En France l’endométriose n’est toujours pas reconnue comme une Affection de Longue Durée (ALD) menant à la prise en charge de tous les soins liés à la maladie grace à l’exonération du ticket modérateur.
L’endométriose est donc une pathologie avec de réels impacts sur la vie des malades qui représentent une part non négligeable de la population. On peut donc se demander dans quelle mesure l’état de la médecine répond à cette problématique.
Les difficultés du diagnostic et leurs conséquences
L’endométriose est une maladie répandue et à fort impact, mais son diagnostic reste encore long et laborieux. Bien qu’elle ne touche pas exclusivement des femmes, elle reste majoritairement (à 98%) féminine, ce qui pourrait être la cause de l’évolution très lente de la situation, avec une similarité déconcertante entre le parcours du combatant décrit par le papier du Dr Cox et la situation actuelle.
Le manque de connaissances
L’un des premiers obstacles au diagnostic est la méconnaissance de la maladie. Même si l’endométriose est la deuxième pathologie gynécologique la plus répandue, les médecins généralistes et le personnel infirmier étaient très peu informés à son sujet il y a 20 ans. Depuis, bien que l’on en sache collectivement plus sur l’endométriose, l’intégration dans les études et formations médicales, puis les diagnostics des professionnels prend organiquement plus de temps. Le personnel de santé est ainsi peu formé à reconnaître la maladie et orienter les malades. Pour les patientes elles-mêmes il est compliqué de savoir qu’elles sont atteintes d’une maladie, car jusqu’il y a peu les informations sur l’endométriose étaient encore très rares et difficiles d’accès. En effet, pour beaucoup de personnes avoir des règles douloureuses a été intégré comme était quelque chose de normal ou une fatalité et pas nécessairement une raison de consulter un médecin et de s’engager dans un parcours médical de plusieurs années. L’endométriose ne représente malheureusement toujours pas un enjeu majeur du médical; elle ne constitue donc pas non plus une priorité de la recherche scientifique, avec peu de financements et d’études sur la pathologie. Pour ces raisons il reste encore des zones d’ombres sur cette maladie et à comprendre exactement son origine. La recherche très lente explique aussi pourquoi les pistes de traitement sont encore trop peu nombreuses.
Un diagnostic long, difficile...
Malheureusement, du fait de ce classement en pathologie de seconde zone par les médecins et la communauté scientifique, le diagnostic est extrêmement long et difficile. Les femmes atteintes de cette maladie peuvent souvent se retrouver dans une situation d'errance médicale pendant des années avant de recevoir un diagnostic et un traitement adéquats. Malgré les avancées technologiques, la durée moyenne du diagnostic de l'endométriose n'a pas vraiment évolué au cours des dernières années, soit en moyenne 7 ou 8 ans. Cela peut s'expliquer en partie par le fait que les médecins ont souvent tendance à minimiser ou à ignorer les symptômes de cette maladie. On peut comparer cette situation avec celle du cancer du sein, qui, bien que moins répandu (avec une prévalence de 8%), est souvent considéré comme une priorité médicale grâce à des tests obligatoires et une médiatisation importante. De plus, les médecins peuvent être réticents à écouter l'auto-diagnostic des femmes pensant être atteintes d'endométriose, ce qui peut rendre encore plus difficile l'obtention d'un diagnostic et d'un traitement adéquats. De plus les patients se sentent souvent ignorés ou méprisés par les médecins lorsqu'ils font état de leurs propres auto-diagnostics causant frustration et découragement. Cela peut également entraîner un manque de confiance envers les professionnels de santé et une perte de motivation pour suivre le parcours de soin. Il semble nécessaire d’améliorer la médiatisation sur cette pathologie pour réduire la stigmatisation et accélérer les confirmations de diagnostics par les professionnels, en prenant en compte les symptômes ressentis par leurs patients.
... et éprouvant
Le diagnostic de l'endométriose peut être éprouvant pour les patientes, notamment en raison de la trivialisation et de la stigmatisation de cette maladie par certains professionnels de santé. Pour les personnes transgenres souffrant de douleur utérine, le parcours contient également un bon nombre de violences et remarques transphobes qui ne facilitent pas le diagnostic par un professionnel. Les premiers examens de diagnostic peuvent être un simple examen clinique gynécologique (ce qui n’est déjà pas trivial pour beaucoup de femmes ou de personnes transgenres éprouvant de la dysphorie) ou une échographie. Cependant il arrive que ces examens ne soient pas concluants. D’autres examens sont alors nécessaires comme l’IRM, une écho-endoscopie rectale (EER) ou même une cœlioscopie (appelée également laparoscopie) qui est une opération chirurgicale de l’abdomen. Évidemment, obtenir une ordonnance pour un examen de deuxième ou troisième intention après une échographie non concluante est très longue et éprouvante pour les patient·e·s qui doivent lutter contre l’avis de certains professionnels. Pour de nombreuses femmes atteintes d'endométriose, la pire expérience a été la rencontre et la confrontation avec ces professionnels de santé. Certaines ont été traitées comme si elles souffraient de troubles mentaux en réponse à leurs interrogations et à leurs symptômes. Elles ont également été confrontées à des remarques non fondées sur des faits scientifiques, comme "trop jeune pour être atteinte d'endométriose" ou "vous devriez avoir des enfants pour soulager votre douleur". Parfois, elles ont été refusées pendant des années la possibilité de consulter des spécialistes qui pourraient les aider à gérer leur état de santé.
Quelles évolutions possibles à notre portée ?
Plusieurs voies sont possibles pour améliorer la vie des personnes atteintes d’endométriose en France, que ce soit pour le diagnostic, le remboursement des soins, les traitements et l’accompagnement des malades. Entre autres, la tech peut avoir son rôle à jouer.
Promouvoir et partager les connaissances
Les media peuvent être de puissants vecteurs de diffusion de l'information sur l'endométriose et ainsi contribuer à sensibiliser la population à cette maladie. De plus, les patients atteints d'endométriose peuvent eux-mêmes être de puissants acteurs dans leur traitement et dans la recherche et communication sur leur maladie. Iels peuvent partager leur expérience et aider à briser le tabou qui entoure souvent cette pathologie. Certaines entreprises, comme Louis en France et Critizr en France, en Espagne, au Japon, au Pays-Bas et au Royaume-Uni, ont même mis en place des congés menstruels afin de prendre en compte les besoins de leurs employées atteintes d'endométriose ou de règles douloureuses non chroniques. En Espagne, un projet de loi prévoit également l'instauration de congés menstruels.
Lyv, une startup française de la femtech, propose déjà plusieurs axes pour apporter une réponse tech à ce sujet de santé : la School of Endo pour accompagner et soutenir les patientes grâce à ses programmes avec des experts, le mag Lyv, média qui traite de toutes les facettes de l’endométriose (avec des conseils, témoignages et interview de spécialistes), et le futur Endo Q&R, un moteur de recherche pour répondre à toutes les questions sur la pathologie. On notera des pistes d’amélioration de la qualité de vie des patients communs avec Resilience, qui propose un accompagnement personnalisé pour les personnes atteintes d’un cancer, et qui avaient commencé à développer leur solution en se focalisant sur le cancer du sein.
Aide au diagnostic
Bien que les voies d’actions de la tech soient comparables avec celles pour le cancer du sein, l’état du parcours de diagnostic ne l’est pas. En effet en France, un dépistage s’effectue tous les deux ans entre 50 et 74 ans. Cette différence d’intérêt public pour le dépistage peut être compris par le coût élevé du traitement du cancer du sein quand il est découvert tardivement. On pourrait alors se demander s’il faut trouver d’autres leviers pour justifier un dépistage systémique de l’endométriose. Même si ce n’est actuellement pas la recommandation de la Haute Autorité de Santé, ce dépistage pourrait également révéler d’autres pathologies utérines ou gynécologiques. En réalité, le coût actuel pour le système de santé de l’endométriose, avec son errance médicale de presque dix ans, est élevé. D’après l’article de Lyv déjà évoqué, le coût de l’endométriose (moyenne des coûts dans dix pays) par femme et par an serait de 9 579 € (The World Endometriosis Research Foundation). Ainsi en France le coût de cette maladie, avec la place politique dans la santé publique qui lui est réservée s’estimerait à 13,6 milliards d’euros par an.
La medtech a aussi un rôle à jouer pour l’aide en diagnostic en considérant les biomarqueurs de cette maladie. En effet, un nouveau test de diagnostic non-invasif a été mis au point par des chercheurs français pour diagnostiquer l’endométriose à partir de biomarqueurs présents dans la salive. Après prélèvement, la méthode de diagnostic s’effectue par “l’analyse des microARN salivaires et l’identification des profils phénotypiques caractéristiques de l’endométriose identifiée par méthode NGS (séquençage de nouvelle génération) et modélisée par IA [Intelligence Artificielle].” Le kit de test salivaire (pour l’instant réservé aux professionnels) sera commercialisé sous le nom d’Endotest par Ziwig avec une fiabilité élevée : sensibilité (probabilité d’obtenir un test positif sur un individu porteur de la maladie) de 97 %, spécificité (probabilité d’obtenir un test négatif sur un individu non porteur de la maladie) de 100%.
De son côté, la femtech LUNA propose un autre dispositif médical, 100% numérique cette fois, avec LUNAEndoScore. Ce test permet de pré-diagnostiquer et réduire la durée du diagnostic de l’endométriose avec une fiabilité élevée pour un dispositif ne demandant ni intervention ni prélèvement : l’algorithme a une sensibilité de 84%, et une spécificité de 94%.
En plus de ces deux solutions alliant tech et médecine, nous pouvons mentionner que des solutions similaires existent pour d’autres pathologies. Par exemple MSInsight a pris pour mission de diagnostiquer le cancer en s’appuyant également sur des biomarqueurs, et plus particulièrement le génome et ses instabilités microsatellitaires (Microsatellite instability - MSI). Dans cet article Hokla écrit par Clément, vous pourrez aussi découvrir comment la tech peut aider les professionnels de santé à réaliser leur prescriptions de cortisone pour contrôler les effets secondaires. Enfin, mentionnons Solence qui se lance également dans la femtech pour traiter et/ou accompagner les pathologies chroniques des femmes, en commençant par le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK, PCOS en anglais).
En politique
Pour terminer, l'une des voies pour améliorer la situation de l’endométriose est également la voie politique, pour laquelle la médiatisation, le partage de connaissance, la sensibilisation et les associations de malades peuvent aider. En effet, le remboursement à 100% d’une maladie peut se faire de manière générique uniquement si celle-ci est officiellement intégrée à la liste des affection longues durée, soit reconnue ALD 30. Aujourd’hui les femmes atteintes d'endométriose peuvent demander à qualifier leur endométriose comme ALD en tant qu’affection hors-liste, catégorisée ALD 31 auprès de l'Assurance Maladie. Cependant, seules 6000 femmes en bénéficient actuellement (sur 1,5 à 2,5M de cas). L'obtention de cette reconnaissance ALD 31 nécessite souvent un long parcours administratif et ne couvre pas toujours tous les frais liés aux soins nécessaires. De plus, l'ALD 31 est attribuée au cas par cas, avec des remboursements personnalisés. Une proposition de résolution a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 13 janvier 2022 pour la reconnaissance ALD 30, d’après une proposition de Clémentine Autain. Cependant, en tant que résolution elle n’a pas de valeur de loi et ne représente que l’avis de l’Assemblée. La décision finale de l’intégration ALD 30 revient au ministre de la santé. Olivier Véran, ministre à l’époque, a toujours été défavorable à cette résolution. Plus récemment, François Braun, nommé à la tête du Ministère de la Santé et de la Prévention en juillet 2022 a exprimé sa volonté d’améliorer la prise en charge de la maladie : “Je n’oublie pas la poursuite de la stratégie nationale de lutte contre l’endométriose […]. Nous accentuerons nos efforts sur la santé des enfants, la santé des femmes, la santé de nos ainés et des personnes handicapées.” Sans s’avancer sur les décisions du gouvernement, on peut cependant envisager que l’intégration de l’endométriose dans la liste des Affections Longues Durée aura un impact sur le financement de la recherche sur cette pathologie.
Alors qu’une prévalence de l’endométriose de plus de 10% des personnes menstruées et un impact avéré sur la qualité de vie ne semblent pas suffisants pour accélérer la recherche et la reconnaissance de cette maladie en tant qu'affection longue durée, on peut se demander à partir de combien de cas officiellement recensés cette pathologie sera considérée comme une priorité et une situation critique. Chez Hokla, nous faisons confiance aux acteurs de la medtech comme Lyv ou Resilience pour continuer à sensibiliser sur ces problématiques et pour aider à améliorer la situation des femmes atteintes d'endométriose ou de cancer.
Quelques sources et projets d'intérêt :